Source: Libémarseille 23/09/2010
JUSTICE.
 
La cour d'appel d'Aix-en-Provence a renvoyé jeudi devant le tribunal correctionnel les deux policiers de Grasse (Alpes-Maritimes) accusés d’avoir causé la mort d'un jeune Tunisien de 22 ans, lors de son interpellation le 9 mai 2008.
Les deux policiers avaient obtenu un non-lieu en mai dernier, mais le Parquet de Grasse avait fait appel. Ils retrouveront en correctionnelle cinq autres policiers renvoyés pour non assistance à personne en danger.
 
Les deux policiers renvoyés hier en correctionnelle sont accusés d'avoir provoqué la mort par asphyxie de Hakim Ajimi, notamment en réalisant une clé d’étranglement prolongée lors de son interpellation, alors qu’il était déjà immobilisé.
 
Les deux policiers étaient mis en examen pour homicide involontaire, un délit constitué si on a causé la mort d’autrui «par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement».
 
Pour les deux juges d’instruction chargées du dossier à Grasse, rien ne pouvait leur être reproché. «Les deux policiers n’ont fait qu’appliquer ce qu’on leur enseigne, expliquait en mai un de leurs avocats, Me Gérard Baudoux. Les éléments constitutifs de l’homicide involontaire ne sont pas constitués. S'il y a quelque chose à revoir, ce sont les méthodes enseignées à la police nationale.»
 
Le procureur de la République de Grasse, Jean-Michel Cailliau, avait fait appel du non-lieu. Pour le parquet, qui avait requis le renvoi en correctionnelle, un procès doit se tenir. Il aura donc bien lieu.
 
Le 12 avril, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait rendu un avis très sévère sur les deux policiers, suggérant des poursuites disciplinaires, en raison d’«un usage de la force devenu sans justification». 
 
Pour la CNDS, les techniques d’immobilisation «ne s’imposaient plus après que [Hakim] a été menotté». Car il «ne pouvait alors plus s’échapper, ni être dangereux».
 
LES FAITS...
  
Le 9 mai 2008, le jeune Tunisien est interpellé par deux fonctionnaires de la BAC (brigade anticriminalité) de Grasse, alors qu’il vient de quitter avec fracas l’agence du Crédit agricole. «Agression sur le directeur», a-t-on annoncé aux policiers en les alertant. Boulevard Victor-Hugo, ils le repèrent.
 
Quand les policiers veulent l’attraper, Hakim se débat très violemment.
 
Le trio tombe au sol, et le brigadier-chef X., 41 ans, se blesse (luxation à l’épaule). Son collègue Y., 36 ans, indiquera aux enquêteurs : «Nous avons dû utiliser une grande force pour le maîtriser, car il était très excité.»
 
Hakim est finalement menotté, aux mains et aux pieds, et placé face contre terre, donc immobilisé.
A ce moment, il n’y a plus lieu de s’inquiéter. Mais X. s’appuie à califourchon sur son dos, et Y. lui fait une clé au cou : «C’était effectivement une clé genre étranglement, mais je précise que je n’ai pas serré à fond.» Il la prolonge «cinq à dix minutes, avec une intensité plus ou moins forte, selon l’agitation d’Ajimi». 
Voire plus longtemps, selon des témoins de la scène, qui protestent : «C’est inadmissible, ce n’est pas un animal, c’est bon, il est attrapé !»
 
Un des protestataires est embarqué. Hakim suffoque.
 
Selon un policier municipal, il a «la tête violette». Un lycéen parle d’un «visage bleu» et pense qu’«il ne devait pas respirer». Puis Hakim est traîné jusqu’à la voiture de police. Il est «inerte», selon les témoins, «les bras et les jambes ballants, ses pieds traînaient par terre». Il a «l’air tout mou comme une guimauve».
 
«Jeté sur la banquette arrière, selon une policière, immédiatement il a roulé sur le plancher», entre les sièges. C’est là qu’il effectue le court trajet vers le commissariat, un policier les pieds sur lui. Hakim émet «des gaz qui sentaient mauvais», raconte une jeune policière : «J’ai un peu plaisanté en disant que ça allait bien pour lui, car il avait des gaz.» 
Elle regrettera : «Je n’ai pas l’habitude de la mort et ne savais pas que ces gaz pouvaient être un signe de relâchement.»
 
A l’arrivée, un policier s’exclame : «Il est bleu !» Pompiers, massage cardiaque, bouche-à-bouche, rien n’y fait. Hakim est mort, selon l’expertise anatomopathologique, en raison d’«un mécanisme de compression thoracique associé sans doute à une obstruction incomplète des voies aériennes supérieures (face au sol)» : la clé de Y., plus les appuis sur son dos de X.?
 
Cette technique d’immobilisation est interdite dans plusieurs pays (Suisse, Belgique), en raison des risques d’asphyxie.
 
Elle a valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme en 2007, dans une autre affaire.
 
Entendus comme témoins assistés, les deux policiers se défendent.
 
Y. n’a utilisé «aucune force démesurée». X. assure : «Nous n’avons fait que des gestes réglementaires qui, pour nous, ne pouvaient être la cause de son malaise.»
 
La chambre d’instruction de la cour d’appel a donc décidé ce jeudi de les renvoyer devant le tribunal correctionnel.
 
Ils y retrouveront cinq autres policiers (quatre de la police nationale, un de la municipale) renvoyés pour non-assistance à personne en danger.
 
M.H.
police municipale d'aix en provence