JUSTICE.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence a renvoyé
jeudi devant le tribunal correctionnel les deux policiers de Grasse
(Alpes-Maritimes) accusés d’avoir causé la mort d'un jeune Tunisien de
22 ans, lors de son interpellation le 9 mai 2008.
Les deux policiers avaient obtenu un
non-lieu en mai dernier, mais le Parquet de Grasse avait fait appel. Ils
retrouveront en correctionnelle cinq autres policiers renvoyés pour non
assistance à personne en danger.
Les deux policiers renvoyés hier en
correctionnelle sont accusés d'avoir provoqué la mort par asphyxie de
Hakim Ajimi, notamment en réalisant une clé d’étranglement prolongée lors
de son interpellation, alors qu’il était déjà immobilisé.
Les deux policiers étaient mis en examen pour
homicide involontaire, un délit constitué si on a causé la mort
d’autrui «par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement
à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement».
Pour les deux juges d’instruction chargées du
dossier à Grasse, rien ne pouvait leur être reproché. «Les deux policiers
n’ont fait qu’appliquer ce qu’on leur enseigne, expliquait en mai un de
leurs avocats, Me Gérard Baudoux. Les éléments constitutifs de l’homicide
involontaire ne sont pas constitués. S'il y a quelque chose à revoir, ce
sont les méthodes enseignées à la police nationale.»
Le procureur de la République de Grasse,
Jean-Michel Cailliau, avait fait appel du non-lieu. Pour le parquet, qui
avait requis le renvoi en correctionnelle, un procès doit se tenir. Il aura
donc bien lieu.
Le 12 avril, la Commission nationale de
déontologie de la sécurité (CNDS) avait rendu un avis très sévère sur les
deux policiers, suggérant des poursuites disciplinaires, en raison d’«un
usage de la force devenu sans justification».
Pour la CNDS, les techniques
d’immobilisation «ne s’imposaient plus après que [Hakim] a été menotté». Car
il «ne pouvait alors plus s’échapper, ni être dangereux».
LES FAITS...
Le 9 mai 2008, le jeune Tunisien est
interpellé par deux fonctionnaires de la BAC (brigade anticriminalité) de
Grasse, alors qu’il vient de quitter avec fracas l’agence du Crédit
agricole. «Agression sur le directeur», a-t-on annoncé aux policiers en les
alertant. Boulevard Victor-Hugo, ils le repèrent.
Quand les policiers veulent l’attraper, Hakim
se débat très violemment.
Le trio tombe au sol, et le brigadier-chef X.,
41 ans, se blesse (luxation à l’épaule). Son collègue Y., 36 ans, indiquera
aux enquêteurs : «Nous avons dû utiliser une grande force pour le maîtriser,
car il était très excité.»
Hakim est finalement menotté, aux mains et aux
pieds, et placé face contre terre, donc immobilisé.
A ce moment, il n’y a plus lieu de
s’inquiéter. Mais X. s’appuie à califourchon sur son dos, et Y. lui fait une
clé au cou : «C’était effectivement une clé genre étranglement, mais je
précise que je n’ai pas serré à fond.» Il la prolonge «cinq à dix minutes,
avec une intensité plus ou moins forte, selon l’agitation d’Ajimi».
Voire plus longtemps, selon des témoins de la
scène, qui protestent : «C’est inadmissible, ce n’est pas un animal, c’est
bon, il est attrapé !»
Un des protestataires est embarqué. Hakim
suffoque.
Selon un policier municipal, il a «la tête
violette». Un lycéen parle d’un «visage bleu» et pense qu’«il ne devait pas
respirer». Puis Hakim est traîné jusqu’à la voiture de police. Il
est «inerte», selon les témoins, «les bras et les jambes ballants, ses pieds
traînaient par terre». Il a «l’air tout mou comme une guimauve».
«Jeté sur la banquette arrière, selon une
policière, immédiatement il a roulé sur le plancher», entre les sièges.
C’est là qu’il effectue le court trajet vers le commissariat, un policier
les pieds sur lui. Hakim émet «des gaz qui sentaient mauvais», raconte une
jeune policière : «J’ai un peu plaisanté en disant que ça allait bien pour
lui, car il avait des gaz.»
Elle regrettera : «Je n’ai pas l’habitude de
la mort et ne savais pas que ces gaz pouvaient être un signe de
relâchement.»
A l’arrivée, un policier s’exclame : «Il est
bleu !» Pompiers, massage cardiaque, bouche-à-bouche, rien n’y fait. Hakim
est mort, selon l’expertise anatomopathologique, en raison d’«un mécanisme
de compression thoracique associé sans doute à une obstruction incomplète
des voies aériennes supérieures (face au sol)» : la clé de Y., plus les
appuis sur son dos de X.?
Cette technique d’immobilisation est interdite
dans plusieurs pays (Suisse, Belgique), en raison des risques d’asphyxie.
Elle a valu à la France une condamnation par
la Cour européenne des droits de l’homme en 2007, dans une autre affaire.
Entendus comme témoins assistés, les deux
policiers se défendent.
Y. n’a utilisé «aucune force démesurée». X.
assure : «Nous n’avons fait que des gestes réglementaires qui, pour nous, ne
pouvaient être la cause de son malaise.»
La chambre d’instruction de la cour d’appel a
donc décidé ce jeudi de les renvoyer devant le tribunal correctionnel.
Ils y retrouveront cinq autres policiers
(quatre de la police nationale, un de la municipale) renvoyés pour
non-assistance à personne en danger.
M.H.