…ces appareils ont pris une place
fondamentale dans la lutte contre les feux
Leur silhouette jaune et rouge est devenue si familière qu’on les
jurerait presque patrouillant deux par deux dans le ciel de Provence
depuis l’éternité. Les avions bombardiers d’eau de la Sécurité
civile, si précieux désormais dans le dispositif national de lutte
contre les feux de forêts, font certes partie des paysages qu’ils ont
mission de protéger. Mais s’ils avaient vécu une vie de salarié du
secteur privé, c’est cette année seulement qu’ils pourraient prétendre
partir en retraite.
Car, en France, le combat aérien contre les incendies de forêt est né
il y a tout juste 40 ans. C’est en effet le 24 juin 1963, sur l’aérodrome
de Marignane, que fut inaugurée, sans faste ni trompettes, la base aérienne
de la Sécurité civile. A l’époque, on l’appelait encore
Protection civile. Personne, alors, ne songeait à rouler des mécaniques
parmi la quinzaine de personnes recrutées pour ce qui n’était encore
qu’une expérience.
Et surtout pas l’initiateur de cette épopée des temps modernes, le
sous-préfet Francis Arrighi, dont la foi et la passion jouèrent un rôle
capital dans la genèse de cette aventure.A l’époque, pour de hauts
fonctionnaires par nature peu audacieux, l’idée d’éteindre des
feux de pinède par la voie des airs semblait trop coûteuse et
incertaine pour être parfaitement honnête. Au mieux une lubie de doux
rêveur, au pire un gadget destiné à recycler pilotes et avions désœuvrés
par la fin de toutes les guerres.
Premiers largages près d’une poudrière
Sauf qu’en Amérique du Nord, surtout au Canada, des hydravions américains
Catalina, construits dans les années 40pour les besoins de la guerre du
Pacifique, contribuaient déjà à préserver des flammes les immenses
étendues forestières des Laurentides et du Manitoba depuis une bonne
dizaine d’années. Avec Edgar Pisani, alors ministre de l’agriculture,
comme premier supporter, Francis Arrighi finira ainsi par convaincre le
ministère de l’intérieur d’acquérir deux de ces engins pour
enrayer la disparition de la forêt méditerranéenne, dont 23000
hectares brûlaient en moyenne chaque été, malgré l’engagement sans
faille des pompiers. Le premier de ces Catalina arriva à
Toussus-le-Noble, en région parisienne, au mois d’avril 1963, avec
aux commandes l’un des trois instructeurs canadiens venus apprendre
aux cousins français comment on se servait du premier camion de
pompiers volant. Trois mois plus tard, la base était créée dans les
hangars désaffectés de l’aéronavale de Berre, en bordure de l’étang.
Les premiers temps, les avions stationnaient et décollaient du plan
d’eau, ce qui ralentissait considérablement leur mise en œuvre en
cas d’alerte. Au bout de quelques mois, la base fut donc transférée
sur la site de l’aéroport, près des actuels locaux de l’aviation générale.
La toute première mission opérationnelle des Catalina bombardiers
d’eau eut lieu au début de l’été 1963, sur un feu qui venait d’éclater
près de l’ancienne poudrière de Saint-Chamas. En deux jours, les
avions effectuèrent plus de 60largages, contribuant très largement à
limiter le bilan de ce sinistre.
Pourtant, "les pompiers n’étaient pas très chauds pour qu’on
intervienne", se souvient Claude Le Louarn, l’un des rares
acteurs des premiers jours encore présent quarante ans après.
"Ils avaient vraiment la trouille qu’on leur pique le boulot. Au
départ, la plupart des officiers refusaient de nous appeler. Certains
étaient convaincus que notre truc, ça ne marcherait pas et, de toutes
façons, ils préféraient que ça brûle plutôt que de prendre le
risque de se fâcher avec leurs hommes." L’un des premiers à
avoir saisi l’intérêt des bombardiers d’eau et à passer outre
l’hostilité à leur égard fut le capitaine Édouard Savine, des
sapeurs-pompiers de Gardanne. "Au bout de quelques semaines,
poursuit Claude Le Louarn en rigolant, quand les autres officiers se
sont aperçus que ça brûlait beaucoup plus chez eux que chez Savine,
ils ont commencé de réviser leur jugement."
A la fin de la saison 1963, les Catalina affichent 85heures de vol au
compteur, 33 missions feu, 392 écopages et 471 largages à eux deux. Un
succès qui permettra à Francis Arrighi d’obtenir deux avions supplémentaires
pour la saison suivante. La porte qui allait conduire à l’acquisition
des douze premiers Canadair, livrés dès 1969, était définitivement
entrouverte.
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