Un amendement pour légaliser la rémunération des "indics"
LE MONDE | 23.05.03 | 13h25
Dans le cadre du vote de la loi Perben sur la criminalité organisée, l'Assemblée nationale a adopté, jeudi 22 mai, un amendement du député (UMP) Thierry Mariani qui autorise la rémunération des informateurs de la police et de la gendarmerie. Leur paiement était jusqu'ici toléré, mais opaque.

On les surnomme "cousins", "tontons" ou "indics". Sans eux, les services de renseignement seraient inopérants, la lutte contre le grand banditisme inefficace et les saisies de stupéfiants dérisoires. Pourtant, les informateurs n'ont aucune existence légale ; ce vide juridique oblige les fonctionnaires de police à violer des règles déontologiques, à contourner le code de procédure et à se mettre en danger.

Pour remédier à cette situation, un premier pas important a été franchi jeudi 22 mai à l'Assemblée nationale, au cours de l'examen en première lecture du projet de loi Perben sur la grande criminalité. Les députés ont adopté un amendement de Thierry Mariani (UMP, Vaucluse), proposant de légaliser et d'encadrer les rémunérations des indicateurs. A l'avenir, 30 % du produit des amendes et des confiscations résultant d'enquêtes de police ou de gendarmerie pourront être affectés au paiement des "tontons". Ce cadre légal et ce plafond de 30 % existent déjà pour les "aviseurs" des douanes ; il est inscrit, depuis 1957, dans le code des douanes. Une ligne budgétaire est d'ailleurs dévolue à cet effet.

 

La transposition de ce mode de fonctionnement à la police et à la gendarmerie a été laborieuse. Il a fallu surmonter les réticences des ministères de la justice et de l'intérieur. Se disant lui-même "aussi surpris qu'heureux" du résultat, M. Mariani rappelle que cet amendement avait été rejeté lors de la discussion du projet de loi sur la sécurité intérieure, à l'automne. Nicolas Sarkozy avait alors estimé que cette mesure entrait dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, et non policière.

Dans les semaines qui ont précédé la discussion du projet de loi Perben, le syndicat policier Synergie-officiers, qui a inspiré et encouragé M. Mariani, s'est mobilisé pour souligner la gravité de la situation. Dans une lettre du 16 avril, adressée aux ministres de la justice et de l'intérieur, le secrétaire général du syndicat, Bruno Beschizza, a attiré l'attention de MM. Perben et Sarkozy sur le cas de trois officiers de la brigade des stupéfiants de la Sûreté départementale des Hauts-de-Seine.

"MAFIEUX QU'ON RÉMUNÈRE"

Les trois hommes comparaîtront fin juin devant le tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine) pour infractions à la législation sur les stupéfiants. Le juge qui a décidé leur renvoi dénonce dans son ordonnance les rémunérations "occultes"dont a bénéficié un "informateur professionnel" des trois officiers. Dans son courrier, M. Beschizza souligne que "ces pratiques courantes sont connues de l'ensemble de leur hiérarchie, administrative et judiciaire, qui n'assume aucun risque et n'a jamais rien fait pour remédier à ce problème majeur".

L'adoption de l'amendement réjouit donc au plus haut point Patrick Mauduit, un des cadres du syndicat et principal soutien du député. "La loi sur la grande criminalité nous donnait une porte d'entrée juridique en or,s'enthousiasme-t-il. Mais il nous manquait la clé : les indics. Maintenant on l'a."Dominique Barella, président de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), regrette qu'il n'y ait pas eu "un vrai débat sur l'intérêt, les limites et le danger du travail d'indic, qui est quand même un mafieux qu'on rémunère".

Le ministère de l'intérieur, favorable à l'amendement Mariani, se montre beaucoup plus réservé sur la définition d'un véritable statut des informateurs, qui permettrait à ces derniers de se prévaloir d'une forme d'immunité dans les procédures judiciaires où leur nom apparaîtrait, à l'instar des policiers infiltrés. Tel est le souhait du Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN), qui a produit un rapport sur cette question, en novembre 2002. "L'amendement Mariani ne traite que du mode de paiement, soit un aspect du problème, explique son secrétaire général, André-Michel Ventre. On veut savoir jusqu'où policiers et indics peuvent aller, avec l'accord tacite, bienveillant ou gêné des magistrats, qui nous sanctionnent à l'occasion."

Depuis des années, le système de rémunération des "tontons" est d'une totale opacité. La règle veut que les patrons des services utilisant beaucoup d'"indics", comme l'Office central de répression du banditisme (OCRB) ou la brigade des stupéfiants, connaissent tous les informateurs de leurs enquêteurs. Chaque "tonton" figure sur une fiche de suivi où sont consignées des informations sur son passé, les services rendus et les rémunérations accordées. En 2001, un policier a été renvoyé de l'OCRB pour avoir dissimulé à son patron l'existence d'un indicateur.

Pour le reste, les flux d'argent sont mystérieux. Seule certitude : les "gratifications" en espèces, gérées par le chef de service et provenant des fonds spéciaux du ministère de l'intérieur, sont dérisoires, comparées à celles que distribuent les douaniers. "Chez nous, explique un officier de la brigade des stupéfiants à Paris, un indicateur perçoit 700 euros pour une prise de plusieurs dizaines de kilogrammes de cocaïne. Chez les douaniers, il toucherait 30 000 euros..." Un ancien commissaire de la brigade de répression du banditisme (BRB) se souvient qu'au cours d'une saisie de plusieurs centaines de kilos de cocaïne pure, il y a cinq ans, il a remis une enveloppe de 50 000 francs à l'indicateur. "J'ai cru qu'il allait me les jeter au visage, soupire le policier. C'est le bénéfice net que lui auraient rapporté 100 grammes de poudre."

FAIBLES GRATIFICATIONS

L'argent n'est pas la seule forme de rétribution possible. Au "tonton" méritant, les policiers peuvent obtenir un titre de séjour provisoire, un droit de visite ou un transfert dans un autre établissement s'il est incarcéré. Ils peuvent aussi intercéder auprès des magistrats - avec des chances inégales de réussite. Prévenus d'un braquage, ils peuvent proposer à la société de convoyeurs de fonds visée de rémunérer l'indicateur.

En matière de stupéfiants, une autre pratique, connue mais taboue, consiste à compenser les faibles "gratifications"par une redistribution - à hauteur de 10 % - de la drogue saisie. Dans le grand banditisme, enfin, l'argent n'est pas la motivation principale des "indics", mus davantage par la peur d'une vengeance ou le désir d'éliminer un concurrent.

Piotr Smolar

police municipale d'aix en provence