"On va arrêter, c'est pathétique", soupire, écoutant les réponses des prévenus à ses questions, le juge Guy Rommé qui préside l'audience correctionnelle. Laquelle compte un seul dossier. Qui pourrait, si l'on ne considérait que les faits que la juridiction doit juger, s'avérer tristement ordinaire. Si (et seulement si) l'on ne considérait que les faits à juger.
C'est, en défense, Me Bruno Rebstock qui dira tout "l'enjeu judiciaire ou accusatoire de ce dossier, au-delà du recel de véhicules, pour appuyer le dossier dit de Vitrolles", résidant dans une condamnation, imagine-t-on. Dans son dos, solidement encadrés de gendarmes du Peloton d'intervention 2e génération, Jean-Baptiste Dominici et Auguste Debard comparaissent pour huit délits. Par ailleurs mis en examen dans le dossier de la fusillade de Vitrolles, au terme de laquelle le lieutenant de police Eric Lalès était mort, atteint à la tête de tirs de kalachnikov.
C'était le 28 novembre 2011. "La difficulté, pour la défense, c'est de s'extraire de l'éclairage de ce dossier que vous n'avez pas à juger". Et si encombrant. Même si, toute l'audience, Mes Bruno Rebstock, Frédéric Monneret et Dominique Mattei ne cesseront d'évoquer en filigrane ce fait dramatique, mais bien pour exhorter le tribunal à la présomption d'innocence, sans amalgame avec ce que le juge résume en quelques phrases. Plongeant le tribunal dans les vols et recels de voitures et fausses plaques, vols à la disqueuses... commis, selon l'accusation, par ces prévenus de la communauté des gens du voyage sédentarisés. Une procédure qui prend sa source dans la nuit du 12 avril 2011, quand des hommes tentent de voler une BMW sur un parking de l'aéroport de Marignane. Mis en échec par la sécurité, ils prennent la fuite dans une autre BMW. Quelques heures plus tard, dans une station-essence près de l'aéroport, le propriétaire d'une Maserati est attaqué par un commando encagoulé et armé, qui prendra la fuite avec sa voiture de luxe et une BMW volée en mars 2011 à La Ciotat, retrouvée brûlée le 14 avril sur un parking. "La Maserati sera localisée, surveillée", poursuit le juge.
Des heures de filature qui baladent les policiers à Marseille, Marignane, Gignac, Fuveau, Plan-de-Meyreuil, Aix, Gardanne... où ils arrêtent Toussaint Jimenez. Qui, à l'instar de Dominici et Debard, conteste. Rien à voir là-dedans. Soit. "Pourquoi partir en courant, alors ? Pourquoi jeter un trousseau de clés ?" Jimenez explique que tous ces policiers sans brassard, ça fait peur. Le président, taquinant la corde de l'empathie : "Vous avez failli les prendre pour des cambrioleurs, c'est ça ? Dites, on est passé à côté d'un drame...", en haussant les sourcils.
Le professionnalisme des voleurs
Reste que dans la Maserati parquée dans un garage dont Jimenez a les clés, les policiers mettent la main sur du matériel qu'on s'attendrait à trouver dans un fourgon de BTP. Sacs, outils, pince coupe-boulons, brise-vitre, poubelles, pioche, clés, bip de garage, plaques d'immatriculation, brouilleur, clés vierges à encoder.
Et des bijoux volés la nuit même, par des voleurs à la disqueuse, dans une bijouterie à Avant Cap. La transition avec les deux hommes dans le box ne tarde pas : "Dans les gants, sur des outils, sur le bas du volant, on relève l'ADN et les profils génétiques des deux autres prévenus", résume le tribunal. Dominici tempête : "J'sais pas pourquoi mon profil ADN a atterri sur le volant ! J'y étais pas, le jour où ils ont pris les gants, vous y étiez, vous ?", lance-t-il au juge qui lui soumet quelque déclaration passée :"Vous aviez dit que vous étiez un voleur. Alors on pourrait se dire, avec l'esprit mal tourné, que vous conduisiez la voiture pour aller voler..." Quant à l'ADN de Debard, "on a dû prendre les gants chez moi, les outils aussi. Moi, j'suis pour rien là-dedans". Il dira être ferrailleur, mener une vie saine avec femme et enfants. Il avait reconnu avoir pris part (seulement) au vol, la nuit de la mort du policier ?"Une erreur".
Le procureur Marie-Laure Ferrier démontre ensuite l'implication des trois prévenus dans ce dossier, insistant sur le professionnalisme des voleurs à la disqueuse qui, entre 4h18 et 4h23 du matin, emportèrent pour 139 000€ de bijoux. Pour elle, Toussaint Jimenez est en lien avec ceux qui ont participé au vol à main armée de la Maserati."Leurs dénégations à tous trois n'ont aucune pertinence", lâche-t-elle. Puis de requérir 9 ans de prison contre Dominici, 6 contre Debard et 4 contre Jimenez, dont "on ne retrouve aucun élément dans la Maserati", plaide Me Rebstock, qui prend aussi la parole pour Dominici : "On requiert 9 ans pour un vol sans violence, où personne n'était présent, sauf des auteurs encore non identifiés ! Qu'y a-t-il contre Jean-Baptiste Dominici ? Qu'il est Jean-Baptiste Dominici..." Le bâtonnier Mattei enfonce le clou en revenant sur les incertitudes de l'ADN, décriant une "procédure étonnamment creuse" et la preuve de la culpabilité de son client pas rapportée.
J.-Baptiste Dominici écopera pourtant de 6 ans de prison avec maintien en détention, son beau-père Toussaint Jimenez de 3 ans. Auguste Debard sera condamné à 4 ans. Son conseil Me Monneret avait déploré des réquisitions excessives pour un homme qui travaille en détention pour se réinsérer. "Peut-on considérer, car on trouve son ADN, qu'il est coupable de vol et de recel ?" Le tribunal a répondu oui.
Séverine Pardini